• Professeur de sociologie à l’École des mines, Cécile Méadel travaille depuis dix ans sur les associations de patients, Internet et les médias, notamment dans le cadre de l’autisme

     

    LA CROIX  : Après être longtemps restées silencieuses, les associations de parents d’enfants autistes ont, depuis quelques années, pris la parole de manière forte pour dénoncer les méthodes de prise en charge inspirées par la psychanalyse. Comment a émergé cette prise de parole ?

    Cécile Méadel : Elle a été très progressive. Aujourd’hui, on recense deux grandes fédérations dans le domaine de l’autisme : Sésame Autisme, fondée en 1963, et Autisme France, créée en 1989. Il s’agit de deux fédérations qui regroupent de nombreuses associations locales dont la première mission a été de créer des structures de prise en charge. Ce sont les familles qui, face à la carence des institutions publiques, ont dû se battre pour trouver des solutions à la situation assez épouvantable alors réservée à leurs enfants. 

    Ce travail local était tellement lourd à conduire qu’il a fait passer un peu au second plan un autre combat : la construction d’une revendication « politique » à un niveau national. Pendant longtemps, il n’y a pas vraiment eu de débat public sur l’efficacité de la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme. Cela n’était pas facile pour des parents isolés de remettre en cause cette approche alors complètement validée par les pouvoirs publics français.

    Comment est née la contestation chez les parents et a-t-elle été le ciment de leur intervention dans le débat public ?

    Ce discours critique s’est d’abord nourri des témoignages de parents partis voir ce qui se faisait dans d’autres pays où l’on privilégiait les méthodes comportementales. Peu à peu, ces méthodes ont commencé à arriver en France et ont attiré l’attention d’un nombre croissant de familles. Un élément important a été l’utilisation d’Internet comme lieu d’échanges et de débat. 

    En novembre 1999, une discussion a été lancée par le père d’un enfant autiste et a vite connu un certain succès. Des parents témoignaient de leurs expériences personnelles, se communiquaient les coordonnées des équipes compétentes dans le diagnostic de la maladie, racontaient leurs voyages à l’étranger…

    Peut-on dire qu’Internet a été le moteur de ce mouvement ?

    Le Web a surtout été une caisse de résonance et de cristallisation de ce mouvement. Très vite, en effet, l’autisme y est devenu très présent. En 2003, par exemple, on repérait 112 sites francophones exclusivement consacrés à ce sujet. Et c’est d’abord sur ces listes de discussion que la psychanalyse a été présentée comme « l’ennemie des parents », comme un pouvoir qui, aux yeux des familles, s’exerçait non seulement dans les hôpitaux, mais aussi dans les écoles et même les tribunaux. 

    C’est dans ces forums qu’a eu lieu, par exemple, une très forte mobilisation en faveur de certains parents accusés de mauvais traitements parce qu’ils avaient refusé une prise en charge d’inspiration psychanalytique pour leurs enfants. Dans les années 2000, cette thématique anti-psy est devenue omniprésente sur Internet, avec un discours souvent très véhément. 

    Les associations relayaient ce discours mais de manière plus modérée, parce qu’elles avaient une position institutionnelle à tenir. Ensuite, peu à peu, le discours associatif s’est aussi radicalisé, en partie sous l’influence d’une nouvelle association, Léa pour Samy (aujourd’hui Vaincre l’autisme), qui a adopté un positionnement très militant, un peu sur le modèle des associations anti-sida.

    Cette radicalisation est-elle liée à un effet générationnel inspiré par des parents plus jeunes et très familiers du Web ?

    Pas vraiment. La mobilisation a été le fait de gens d’horizons divers, qui, pour beaucoup, ne connaissaient pas grand-chose à Internet, mais qui ont appris à maîtriser cet outil. Certains parents, qui parlaient mal l’anglais et n’étaient pas des scientifiques, ont fait un gros travail de documentation. Ils se sont mis à lire des publications anglophones et à les traduire. Internet n’a pas seulement servi de catalyseur dans la dénonciation de la psychanalyse.

    Il a aussi joué un rôle majeur dans la transformation des savoirs médicaux, en permettant à ces parents profanes d’acquérir ces savoirs et de sortir d’un sentiment d’impuissance face à des situations qu’ils percevaient jusque-là comme sans issue.

    Recueilli par PIERRE BIENVAULT

     


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  • Doctissimo - le 08-03-2012

    Prise en charge de l'autisme :
    la "révolution positive" de la Haute autorité de santé

    Très attendu, le rapport de la Haute Autorité de Santé sur la prise en charge de l'autisme classe enfin l'approche psychanalytique comme "non consensuelle". Une avancée pour les associations qui déplorent néanmoins qu'elle n'ait pas été purement et simplement interdite. Ces recommandations devraient bouleverser la prise en charge de cette maladie.

    Deux ans de travail, 145 experts (dont 5 internationaux), une concertation publique à laquelle ont répondu plus de 180 organisations… Le rapport sur les recommandations de bonne pratique sur la prise en charge des enfants et adolescents souffrant de troubles envahissants du développement (TED) a été publié le jeudi 8 mars. Il était très attendu, notamment concernant l'importance controversée de la psychanalyse et du packing en France. Face à ces deux techniques, la Haute Autorité de Santé (HAS) et l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) émettent enfin d'importantes réserves. Une avancée saluée par les associations.

    Une prise en charge personnalisée et globale

    Prise en charge autismeL'enjeu est de taille puisqu'en France, on estime à 30 000 le nombre d'enfants touchés par l'autisme et au total plus de 100 000 touchés par des troubles envahissants du développement (TED). Déclarée Grande Cause nationale en 2012, ayant fait l'objet d'un plan national, l'autisme cristallise les défaillances d'un système médico-social trop peu adapté. Faute d'un diagnostic précoce, la prise en charge intervient le plus souvent trop tardivement, amenuisant ainsi les chances de réussite des traitements engagés. "Seul un tiers des enfants autistes reçoivent à temps l'aide spécialisées qui leur est nécessaire", déplore le Pr Philippe Evrard, président du comité de pilotage Autisme à la HAS.

    Les recommandations de la HAS et de l'Anesm insistent donc sur la mise en place d'une prise en charge précoce, personnalisée et globale, en partenariat avec les parents et l'enfant. Une stratégie qui s'appuie sur un diagnostic précoce (avant l'âge de 4 ans) suivi d'interventions globales et coordonnées dans les 3 mois suivants. Les approches éducatives, comportementales et développementales feront partie intégrante de ces interventions, qu'il y ait ou non retard mental. Les méthodes ABA et TEACCH sont directement citées comme exemples et recommandées.

    Les méthodes cognitives officiellement recommandées

    Ce point ravit le Collectif Autisme*, qui note que "seules sont recommandées les différentes approches éducatives qui ont fait la preuve de leur efficacité comme le montre la littérature scientifique".

    Daniel Fasquelle, député du Pas-de-Calais et président du groupe d'études parlementaire sur l'autisme avoue également se réjouir de "la généralisation des méthodes éducatives et comportementales, et [de] la réaffectation de tous les financements existants à ces méthodes". Car comme le souligne le Pr Evrard, si "les bonnes pratiques permettront une révolution positive pour les personnes autistes(…), il faut néanmoins nécessairement augmenter les moyens et les effectifs, sans quoi, les recommandations ne seront pas appliquées et inutiles".

    Autre point-clé souligné par Jean-Luc Harousseau, président de la HAS : "la prise en charge doit être proposée et non imposée". Depuis une trentaine d'années, les parents se voient le plus souvent imposer l'approche psychanalytique, prédominante jusqu'alors en France.

    Les approches psychanalytiques "non consensuelles" mais pas "non recommandées"

    Pour les adeptes de la méthode psychanalytique, l'autisme n'a qu'une origine psychologique, il serait une psychose causée directement par la mère. Une approche qui s'oppose aux psychiatres, psychologues et médecins qui prônent une prise en charge avec des méthodes éducatives et comportementales. Une curieuse exception culturelle française puisque cette méthode ne fait plus partie de l'arsenal thérapeutique des autres pays occidentaux. Malgré de nombreux débats, ce sont toujours les tenants de cette "doctrine" qui prédominent en France. Mais peut-être plus pour longtemps ! Le rapport reconnaît que "l'absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle". Ces approches sont ainsi classées comme étant "non consensuelles"… mais pas comme étant "non recommandées" comme indiquées dans la version préliminaire du rapport qui avait "fuité" en février. Face à l'absence de preuve de son efficacité, au caractère uniquement français de cette approche et à la ferme opposition des familles à son égard, une "non recommandation" aurait pu paraître logique. Et pour les associations, cette nuance n'est pas un détail.

    Le collectif Autisme déplore ainsi dans un communiqué, "que les approches psychanalytiques soient seulement qualifiées de non consensuelles alors qu'aucune étude scientifique ne valide ces pratiques et qu'elles ne correspondent en rien aux besoins des usagers, pourtant un pilier de la construction des recommandations". Un point de vue partagé par Daniel Fasquelle qui "regrette que la HAS ait reculé sous les pressions corporatistes du lobby psychanalytique puisqu'elle a simplement choisi de classer les pratiques d'inspiration psychanalytique dans les "interventions globales non consensuelles"". Pour Jean-Luc Harousseau, président de la HAS, "les psychiatres doivent se remettre en cause et (…) se plier aux règles communes d'évaluation. En 30 ans, il n'y a pas une seule étude capable de prouver l'efficacité de leur approche. Ils doivent prendre conscience qu'il n'existe pas une solution unique". Néanmoins, il précise que "non consensuel ne veut pas dire non recommandé… Les pédopsychiatres qui le souhaitent peuvent continuer à pratiquer s'ils y croient en leur âme et conscience". En ce sens, la HAS n'a pour mission que d'éditer des recommandations de bonnes pratiques et ne peut contraindre les professionnels…


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  • Autisme: "Vous allez encourager les psychanalystes à évaluer leurs âneries!"

    L'EXPRESS - Par Estelle Saget, publié le 08/03/2012 à 19:04

    Autisme: "Vous allez encourager les psychanalystes à évaluer leurs âneries!"

    La Haute autorité de santé désavoue, à mots prudents, le recours à la psychanalyse dans l'autisme.

    REUTERS/Ali Jarekji

    La Haute autorité de santé désavoue, à mots prudents, le recours à la psychanalyse dans l'autisme. L'Express a laissé traîner ses oreilles dans les coulisses, à la fin de la conférence de presse. 

    Il est 13h passés, en ce 8 mars, au siège de la Haute autorité de santé (HAS), voisin du stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). La conférence de presse consacrée aux traitements recommandés dans l'autisme vient de se terminer. Elle a mis fin au suspense entretenu depuis plusieurs semaines autour d'un sujet très polémique: faut-il continuer à recourir à la psychanalyse dans ce trouble précoce de la communication? La HAS s'est abstenue de trancher dans le vif. Elle n'a classé la psychanalyse ni dans la catégorie des interventions "non recommandées", ni dans celle des "recommandées", mais l'a placée, seule, dans une troisième rubrique, celle des interventions "non consensuelles". 

    Les journalistes s'éclipsent pour préparer leurs sujets, les orateurs descendent de leur tribune. La présidente de l'association Autisme France, Danièle Langloys, remonte l'allée centrale à la rencontre du président de la HAS, le Pr Jean-Luc Harousseau. L'infatigable militante de la cause des enfants autistes -son fils de 27 ans est touché par ce trouble- fait partie du groupe de pilotage qui, depuis deux ans, travaillait à l'élaboration de cette recommandation. Elle croise pour la première fois l'hématologue et homme politique (centriste) nommé il y a un an à la tête de la HAS, à la suite du scandale du Mediator. S'ensuit un dialogue courtois, mais incisif, que nous retranscrivons ici. 

    La psychanalyse ne figure pas dans les interventions recommandées, point 

    Danièle Langloys, sévère: "Ce que les associations vous avaient demandé, monsieur, c'est de mettre: pas recommandé [NDLR : concernant l'approche psychanalytique]. 

    Jean-Luc Harousseau, protestant: La phrase concernant la psychanalyse n'a pas été modifiée d'un iota! 

    D.L.: Mais le chapeau [le titre de la rubrique] a été modifié. Il est passé de non consensuel ou non recommandé, à non consensuel. 

    JL. H.: On est revenu une dernière fois vers les experts avant de finaliser la recommandation et ils nous ont dit: on ne peut pas écrire ça! Ecoutez, entre nous, je comprends votre émotion. 

    D.L.: Ce n'est pas de l'émotion, c'est la nausée, juste de penser qu'on ne peut pas arriver à une position claire. 

    JL.H.: C'est à vous [les associations] de jouer, maintenant. 

    D.L.: Mais s'il n'y a pas de volonté politique derrière, on peut toujours râler et appeler à la vigilance, ça ne changera rien. On le fait depuis trente ans! 

    JL.H.: Je ne sais pas comment les télés et les radios vont transmettre le message, mais pour moi, il est clair. La psychanalyse ne figure pas dans les interventions recommandées, point. 

    D.L.: Vous savez que j'ai du me battre pour obtenir qu'elles n'y soient pas! Parce que derrière, il y a la question du financement des structures. 

    JL.H.: On espère que les politiques vont s'appuyer sur nos recommandations quand ils devront faire des choix de financement. 

    D.L.: Mais qui va dire aux établissements psychanalytiques qu'ils ne sont pas aux normes? C'est nous? 

    Une méthode qui fait peur, c'est une méthode à laquelle il faut renoncer 

    JL.H.: Nos recommandations sont incitatives. On ne va pas contrôler, ni sanctionner. La médecine relève de la responsabilité individuelle des médecins qui la pratique. Mais ils ne peuvent pas faire n'importe quoi. 

    D.L.: Les psychanalystes ont noyauté toutes les facs de psychologie! 

    JL.H.: On en est conscient, on a mis un chapitre sur la formation dans la recommandation. On a posé la première pierre. J'espère comme vous que nous serons écoutés. C'est déjà beaucoup, d'avoir donné une liste des interventions recommandées. 

    D.L.: C'est un message difficile à faire passer auprès des parents, vous savez. J'essaie de contenir mes troupes, monsieur. 

    JL.H.: Ils [les défenseurs de la psychanalyse] ont quand même accepté le qualificatif "non pertinent". Et pour le packing [une technique défendue par les psychanalystes: l'enfant autiste en crise est enveloppé dans des draps mouillés froids pour le calmer], je me suis permis de dire, tout à l'heure, qu'il y avait très peu d'adhésion de la part des parents. Une méthode qui fait peur, c'est une méthode à laquelle il faut renoncer. Je l'ai vu dans le cancer [sa spécialité]. Un traitement qui fiche la trouille au patient ne pourra jamais s'imposer. 

    D.L.: Mais monsieur, vous allez vraiment encourager les psychanalystes à évaluer leurs âneries [le rapport recommande de faire des essais cliniques dans la psychanalyse, alors que la communauté scientifique internationale a abandonné ce champ de recherche]? Vous, un homme de sciences ? Vous me décevez. 

    JL.H.: Mais je vous parie qu'ils ne le feront pas! Allez, dans un an, on fait le point ensemble. Et si les pratiques n'ont pas évolué sur le terrain, alors on en reparle ".


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